- OBÉSITÉS
- OBÉSITÉSSuivant les auteurs latins, l’adjectif obesus (où se retrouve le verbe edo , edi , esum : manger) signifie le plus souvent gras, trop nourri, plus rarement maigre, mangé tout autour.Cette contradiction, sans rapport avec le mécanisme des obésités, illustre cependant les autres contrastes que nous retrouvons dans leur développement, leur expression clinique, leur évolution. Le terme d’obésité (au sens strict, surcharge adipeuse par rapport à la moyenne) ne peut être conçu, comme le terme de tissu adipeux, qu’au pluriel.Pour ne pas se perdre dans leur dédale, il convient de prendre d’abord connaissance des caractères de la réserve grasse normale et de son comportement depuis les origines.Le tissu adipeuxLe monde végétal accumule ses réserves énergétiques, principalement sous forme d’amidon, accessoirement de triglycérides, qu’il peut, contrairement aux animaux, transformer en glucides.Chez ces derniers, la masse de glycogène est toujours limitée: elle représente 10 heures de source de vivres (glucose) dans l’espèce humaine. De ce fait, la réserve majeure de carburant, utilisable en cas de disette, est constituée par la graisse, plus de deux fois plus riche en énergie que le glucose.Chez les invertébrés, le développement du tissu adipeux est en proportion inverse à celui du foie: insectes et myriapodes, dépourvus de foie, ont un volumineux «corps adipeux», alors que les arachnides, les crustacés, les mollusques, porteurs d’un foie ou hépato-pancréas, sont sensiblement dépourvus de graisse.La même opposition persiste chez les vertébrés. Les pœcilothermes, dont le tissu adipeux est très réduit, ont généralement un foie riche en graisses à l’état normal. Chez les homéothermes, même chez des individus maigres, le tissu adipeux est relativement important et les triglycérides du foie ne dépassent pas 2 p. 100, sauf dans l’obésité et dans certaines conditions pathologiques.L’accroissement du cerveau chez les mammifères requiert un apport plus important du glucose. Chez l’homme, plus de 100 g sont nécessaires chaque jour, soit le quart du métabolisme basal pour un cinquantième du poids du corps. Une masse grasse relativement importante devient nécessaire pour fournir l’énergie musculaire pendant le jeûne, et éviter la gluconéogenèse qui utilise les protéines. Le clinicien rencontrera chez les patients déprimés cette réserve de masse grasse qui leur est nécessaire.Les adipocytes, éléments du tissu adipeux, sont formés presque exclusivement d’une masse unique de triglycérides refoulant le cytoplasme, le noyau et les organelles à la périphérie. Leur innervation adrénergique est indirecte, les terminaisons nerveuses restant plus ou moins éloignées de chacun d’eux. Leur activité alterne entre la liposynthèse par captation d’acides gras et de glycérophosphate, suivie d’estérification, et la lipolyse qui libère acides gras et glycérol dans la circulation.Chez les mammifères, plus particulièrement les hibernants, apparaît, en dehors de ce tissu adipeux commun, dit blanc, à cause de sa faible coloration, le tissu adipeux brun, coloré par le cytochrome transporteur d’électrons, et par sa forte circulation sanguine. Il se localise surtout dans les régions interscapulaires, cervicales, axillaires, médiastinales et inguinales. Les adipocytes qui sont au contact des terminaisons neuro-adrénergiques contiennent plusieurs petites gouttes de triglycérides, un protoplasme plus abondant et de plus nombreuses mitochondries, témoignant de l’activité métabolique. Les acides gras, libérés par la lipolyse, sont non pas déversés dans la circulation, ou fort peu, mais surtout oxydés immédiatement dans les mitochondries. Le tissu adipeux brun intervient avant tout dans le réchauffement rapide, lors du réveil des hibernants, lors de la naissance des jeunes mammifères, dans l’adaptation au froid.Cette opposition, apparemment radicale, des deux tissus adipeux blanc et brun doit cependant être nuancée. Margaret Ashwell a montré que des stades intermédiaires unissent ces deux extrêmes, l’augmentation de l’innervation adrénalinique orientant vers la thermogenèse, et sa diminution conduisant à l’accumulation de graisse.Le tissu adipeux blanc apparaît très tôt chez le fœtus, entre la 15e et la 16e semaine, d’abord sur la face, puis sur le cou, sur le tronc et enfin sur les membres. Il se développe surtout au cours du 9e mois. Le tissu adipeux brun se développe aussi pendant la vie fœtale, mais semble disparaître à peu près entièrement dans les semaines qui suivent la naissance. Chez le nouveau-né, la masse adipeuse occupe 17 p. 100 du poids du corps dans les deux sexes. Elle s’accroît pour atteindre 30 p. 100 à un an et diminue ensuite, retombant à 17 p. 100 chez l’enfant des deux sexes à cinq ans. C’est à partir de cet âge que la masse adipeuse diverge dans les deux sexes. Alors qu’elle diminue chez le garçon, elle augmente chez la fille. À partir de la puberté, la masse adipeuse de la femme sera sensiblement le double de celle de l’homme. Alors que la première prédomine au-dessous de l’ombilic, la seconde prédomine au-dessus.La différenciation sexuelle du tissu adipeux est présente chez de nombreux animaux, mais habituellement discrète, même chez les anthropomorphes, les plus près de l’homme.L’hominisation, ayant pour corollaire la station debout, les conditions mécaniques de la grossesse et la nécessité de réserves importantes pour le fœtus et le nouveau-né, a localisé la graisse chez la femme dans la partie inférieure du corps. Chez l’homme, la graisse, moins utile, était réduite de moitié et prédominait sur le haut du corps, où elle ne s’opposait pas à la mobilité et à la lutte, favorisées par l’élargissement des épaules, le rétrécissement du bassin, tous deux effets de la testostérone.Cependant, chez une minorité d’hommes et de femmes, par ailleurs normaux, la différenciation sexuelle du tissu adipeux est restée celle du sexe opposé.Régulation neuro-hormonale du tissu adipeux blanc dans l’espèce humaineLa masse adipeuse, comme la réserve de carburant d’un véhicule ou la trésorerie d’un service comptable, est l’objet d’une régulation homéostatique, soumise aux lois de la cybernétique. Le mécanisme central est dans l’hypothalamus: l’activité des noyaux médio-ventraux diminue la réserve de masse grasse; celle des noyaux hypothalamiques latéraux l’augmente. Ces noyaux unissent les formations cérébrales supérieures à l’innervation périphérique, musculaire et graisseuse.L’adipostat hypothalamique, qui fait appel à un grand nombre de neuromédiateurs, est réglé pour une certaine masse grasse nécessaire, en deçà et au-delà de laquelle l’organisme souffre plus ou moins. Cependant, les messagers qui informent l’adipostat hypothalamique sur la valeur de la masse grasse sont encore mal connus.Le rapport adipo-musculaire, paramètre fondamental, est accru par l’inaction, diminué par l’exercice. Cependant, l’athlète lourd ne peut se passer d’une masse grasse supérieure, en valeur absolue, à la moyenne de la population. La perte de cette masse grasse nécessaire réduit la performance athlétique, comme elle peut anéantir la voix d’un ténor wagnérien ou celle d’une diva.La plupart des hormones interviennent dans cette régulation. L’insuline est l’hormone anabolisante fondamentale alors que le principal agent de la lipolyse est le système adrénergique (avec cette particularité qu’après la fixation d’une même hormone, l’adrénaline, les récepteurs 廓1 déclenchent la lipolyse, les récepteurs 見2 s’y opposent, éléments d’un mécanisme d’équilibre qui peut être rompu dans un sens ou dans l’autre).L’action des hormones stéroïdes sur le tissu adipeux blanc humain n’a pas d’équivalent dans les autres espèces. L’école de Marseille a démontré que:– la testostérone, lors de la puberté masculine, diminue fortement le nombre et le volume des adipocytes pelviens, le nombre des adipocytes hypogastriques;– les œstrogènes diminuent discrètement le volume des adipocytes deltoïdiens, augmentent fortement le volume des adipocytes pelviens et faiblement le nombre de ces derniers;– le cortisol est responsable de l’augmentation élective du volume des adipocytes deltoïdiens et épigastriques, probablement de celui des adipocytes des joues et du cou.Ces notions ont été complétées par les travaux du groupe de Göteborg dirigé par Per Björntorp, notamment ceux de Marielle Rebuffé-Scrive, qui a démontré que la lipoprotéine-lipase, dont l’action prépare les conditions de la liposynthèse adipocytaire, est accrue dans les adipocytes fémoraux. Cette particularité disparaît pendant la lactation et à la ménopause. La progestérone administrée localement augmente la lipoprotéine-lipase dans les adipocytes fémoraux. De tels faits confirment la relation entre la disposition féminine de la graisse et la fonction reproductrice.Causes des obésitésIl est un truisme de dire que l’excès de nourriture est cause d’obésité, mais ce n’est pas absolu, certains obèses mangeant moins que la moyenne, mais trop relativement à leurs dépenses énergétiques.Dans l’obésité, l’adipostat n’est pas supprimé. Il est seulement réglé au-dessus de la normale.En dehors de quelques cas rares, quasi expérimentaux, traumatismes crâniens, infections cérébro-méningées, tumeurs, traitements neuroleptiques, l’origine des obésités est génétique , autosomale, dominante, à pénétrance variable, comme en témoignent de nombreuses études sur les jumeaux, vrais et faux, ainsi que sur les enfants adoptés. Cette hérédité est liée à trois gènes, plus probablement trois groupes de gènes, plus ou moins associés, mais indépendants, qui commandent: la constitution de l’obésité; la distribution topographique de la graisse ; les complications.Le deuxième facteur est la suralimentation , plus ou moins imposée par le milieu, à certaines périodes cruciales (première enfance, puberté, etc.), ce qui multiplie les adipocytes, augmente ainsi les capacités de liposynthèse et la faim adipocytaire.Le troisième est la sédentarité à laquelle invitent plus ou moins les circonstances et qui réalise d’ailleurs un mécanisme circulaire avec l’obésité elle-même.Le quatrième comporte un grand nombre de réactions psychologiques aux divers conflits de l’enfance et de plus tard.Le cinquième, lié au précédent, est la dépression sous ses diverses formes, qui interviennent comme si l’exigence de glucose par le cerveau n’étant pas suffisamment satisfaite en raison des besoins musculaires, non satisfaits eux-mêmes par l’obstacle à la lipolyse, la masse grasse devait être augmentée. Le défaut de sérotonine est peut-être alors en jeu et accessible au traitement.L’obésité néonatale, due aux différentes causes qui apportent trop de glucose au fœtus, n’est pas forcément source d’obésité dans l’enfance ou à l’âge adulte, bon nombre de ces gros enfants devenant normaux par la suite et beaucoup d’obèses ayant eu un poids normal à la naissance.Aspects cliniques et évolutifs des obésitésToutes choses égales d’ailleurs, la surcharge adipeuse est évidemment une gêne mécanique des divers appareils: locomoteur, respiratoire, circulatoire; un fardeau pour les articulations; un supplément d’effort pour les muscles et pour le cœur; un dommage esthétique, vestimentaire, social. Ces inconvénients sont plus ou moins proportionnels au degré de surcharge adipeuse. S’y opposent de multiples facteurs qui peuvent aller de la satisfaction de la gourmandise à la facilitation de l’effort musculaire ou intellectuel par une certaine masse grasse nécessaire et à la confiance en soi. Au demeurant, ces inconvénients sont surtout le fait des grandes obésités et restent négligeables dans les autres.Plus graves sont les complications métaboliques qui diminuent l’espoir de vie, surtout d’une vie active, et doivent autant que possible être prévenues.Depuis les premiers travaux de l’école marseillaise en 1947, on sait que les complications métaboliques des obésités ne sont pas liées au degré de surcharge adipeuse, mais à sa prédominance sur la partie haute du corps, au-dessus de l’ombilic, et de la ligne innervée par les dixièmes nerfs dorsaux.La clinique nous apprend que l’excès de masse grasse est dangereux par ses complications métaboliques.Or, la femme a normalement une masse grasse double de celle de l’homme, donc celle d’un homme obèse. Aussi souvent obèse que l’homme et plus grasse, elle meurt plus tard et moins souvent de complications métaboliques de l’obésité. Pourquoi? La réponse est donnée par l’analyse morphologique de la surcharge adipeuse. La femme est protégée quand elle garde sa graisse gynoïde, témoin de sa fonction maternelle. Quand sa graisse est androïde, «elle meurt comme un homme».La description initiale des obésités androïde et gynoïde était fondée sur la topographie sexuelle de la graisse. Dans notre première statistique, il y a trente-six ans, suivant que les cas intermédiaires étaient placés d’un côté ou de l’autre, le risque diabétique et artériel de l’obésité androïde était multiplié par 6 ou par 20.Ces faits ont été largement confirmés, avec quelques différences dans le vocabulaire, attirant l’attention sur certains points. Ont été opposées: obésité centripète, ou en araignée, et périphérique; abdominale et pelvienne, ou fémorale; profonde et superficielle; viscérale et sous-cutanée; en pomme et en poire. Antérieurement, les mots d’obésité tronculaire, faciotronculaire avaient négligé à tort la graisse de la nuque et des épaules caractérisant l’hypercorticisme.L’évolution de l’obésité vers le diabète se fait en cinq stades: 1. obésité avec tolérance au glucose normale; 2. obésité avec intolérance au glucose; 3. obésité avec diabète patent, survenant généralement un à deux ans après que le poids maximal a été spontanément atteint et avec la perte spontanée de 2 à 4 kg; 4. obésité amaigrie avec diabète non insulino-dépendant; 5. diabète insulino-dépendant, malgré la perte spontanée, mais trop tardive, de tout l’excès de poids. La fréquence de cette éventualité se situe autour de 15 p. 100 des diabètes francs de l’obèse, la mort par complications dégénératives survenant généralement plus tôt.Tant que les derniers kilos excédentaires du stade 4 ne sont pas spontanément perdus, l’amaigrissement thérapeutique, non spontané, améliore et parfois guérit le diabète et les désordres métaboliques associés. Ces derniers obéissent aux mêmes lois que le diabète de l’obèse: absence de relation avec l’excès de masse grasse, parallélisme avec la prépondérance de la graisse dans la partie haute du corps. Une étude prospective homogène, poursuivie de 1950 à 1953 chez des femmes âgées alors de 25 à 30 ans et suivies jusqu’en 1983, nous a permis d’établir que la prépondérance de la graisse sur le haut du corps annonçait – et permettait aussi de prévenir – le diabète, un peu moins l’athérosclérose, alors que tous les autres examens étaient négatifs, à part l’hyperinsulinémie. Celle-ci, traduisant l’insulino-résistance et l’aggravant selon un mécanisme circulaire, est proportionnelle non à la masse grasse, mais à la prépondérance de la graisse sur le haut du corps. Elle s’atténue peu à peu jusqu’à l’hypo-insulinémie absolue, qui provoque un amaigrissement trop tardif et même, une fois sur six, la suppression quasi totale de l’insulinosécrétion qui nécessitera un traitement par l’insuline. Il n’existe plus alors d’insulinorésistance, mais les complications dégénératives diabétiques, macro et micro-angiopathies, atteintes oculaires, rénales et neuropathiques sont constantes et graves.Mécanisme de l’obésité androïde et de ses complicationsÀ l’évidence de la relation clinique entre les complications métaboliques des obésités et la localisation de la masse grasse au-dessus de l’ombilic s’oppose notre ignorance des mécanismes responsables d’une part du caractère androïde de l’obésité, de l’autre de ses complications.Quelques faits peuvent être retenus.– L’aspect morphologique et métabolique de l’obésité androïde peut être réalisé par un excès de testostérone et de cortisol. Toutefois, si les sécrétions de ces hormones sont un peu plus élevées dans l’obésité androïde que dans l’obésité gynoïde, leur excès n’est pas proportionnel aux différences morphologiques. Il faut donc admettre, à l’origine de l’obésité androïde, une sensibilité accrue du tissu adipeux à la testostérone et au cortisol, comme est démontrée une sensibilité accrue à l’A.C.T.H., proportionnelle à la prépondérance de la graisse sur le haut du corps, phénomène probablement circulaire, à la fois cause et conséquence.– L’apport direct des acides gras abdominaux dans la circulation portale peut exercer un effet néfaste sur la captation hépatique de l’insuline, comme l’a montré Per Björntorp chez le rat.– L’hyperinsulinémie, proportionnelle elle aussi au caractère androïde de l’obésité, peut dans une large mesure rendre compte de l’épuisement progressif du pancréas, comme du développement de la macro et de la micro-angiopathie.– La plus grande activité du métabolisme lipidique dans la partie haute du corps amplifie peut-être les effets nocifs de la surcharge adipeuse.Traitement individuel et social des obésités et de leurs complicationsLe traitement des obésités est toujours difficile, en raison du fait que, si nous connaissons de mieux en mieux le mécanisme de l’adipostat, nous sommes encore dépourvus de moyens efficaces pour agir sur lui. Faire maigrir est aisé, empêcher de reprendre du poids beaucoup moins. Les indications du traitement et même de la prophylaxie sont fonction des risques de complications métaboliques des obésités, c’est-à-dire de la prépondérance de la graisse sur le haut du corps et des prédispositions familiales à ces complications métaboliques, qu’une enquête peut souvent apprécier. En revanche, l’obésité gynoïde est pratiquement indemne des complications métaboliques et il est souvent inutile de la traiter quand elle n’est pas très importante et menacée de complications mécaniques.La notion du besoin d’une masse grasse nécessaire, qui peut être supérieure à la moyenne, ne doit jamais être oubliée et encore moins contrariée chez le déprimé actuel ou potentiel, l’athlète lourd, le chanteur. La rééducation alimentaire et locomotrice est la base du traitement. Ce dernier exclut tous les régimes déséquilibrés. Il est aidé de peu de médicaments, surtout pas de médication dangereuse comme les hormones thyroïdiennes et les diurétiques. Les anorexigènes sont en progrès réel et s’approchent de la molécule qui agira non sur un seul paramètre, la faim, mais sur l’ensemble de l’adipostat. Les résultats sont d’autant meilleurs que le traitement est plus précoce, attentif, personnalisé et persévérant. La prophylaxie réside dans l’enseignement familial, scolaire, professionnel d’une hygiène salutaire dont les règles sont bien connues.
Encyclopédie Universelle. 2012.